La EFF (electronic frontier foundation) a poursuivi l’état de la Californie quant à leur utilisation soi-disant abusive des données biométriques collectées auprès de personnes ayant été arrêtées par la police. En mars 2019 les avocats de l’état ont déclaré que cette plainte n’a pas lieu d’être et devrait être retirée.
Cependant les arguments amenés par la EFF semblent être légitimes. Les renseignements ADN permettrait de révéler plusieurs informations personnelles : « relations familiales , ethnicité, caractéristique physique. Maladie ou traits génétiques particuliers, etc. ». Ces informations sont ensuite stockées dans des serveurs contrôlés par le FBI puis partagés avec d’autres agences gouvernementales. Un problème majeur si l’on considère que la présomption d’innocence est une valeur importante du système juridique occidental. Les renseignements génétiques sont conservés même si le suspect en question est libéré sans être accusé ou même s’il acquitté en cour. Cela représente près d’un tiers des individus interpellés par les forces de l’ordre californiennes. Les policiers ne sont pas dans l’obligation d’informer les personnes arrêtées que leur ADN sera partagé ni qu’ils peuvent demander que ces informations soient détruites dans l’éventualité où ils seraient acquittés ou relâchés. Ce processus est par ailleurs particulièrement long et fastidieux. Par exemple la personne concernée, peut parfois nécessiter une lettre issue par le procureur afin que ses données soient supprimées. Le procureur n’est pas requis par la loi d’accomplir cette tâche.
Un tel comportement a des effets néfastes sur les communautés, marginalisées. On peut penser aux minorités ethniques, ou aux individus plus démunis. En fait certains diront la surveillance vise particulièrement ces groupes et qu’il ne s’agisse pas d’un hasard.
Michele E. Gilman, juriste et avocate, compare le traitement réservé aux gens demandant de l’aide gouvernementale aux personnes en libertés conditionnelles. Ils sont épiés. En ce sens, ils sont mis sur un pied d’égalité avec des criminels, ce que la Cour suprême des États-Unis a d’ailleurs déclaré en 2007. On leur demande de fournir des informations personnelles et l’on peut les obliger à ce que leur domicile soit fouillé. Ces méthodes de surveillance permettraient de réduire l’éventail des possibilités de ces individus au nom de la sécurité du plus grand nombre.
Dans l’éventualité où les personnes acceptent de donner leurs informations, ces renseignements sont utilisés par des databroker qui peuvent parfois utiliser des algorithmes n’étant pas clair quant à la façon dont ils traitent ces données. Antoinette Rouvroy parle entre autres de décontextualisation des données. Les données sont analysées par des algorithmes pouvant faire de fausses corrélations. Un problème encore plus important lorsqu’on considère que le fonctionnement des algorithmes est opaque et protégé par des lois du droit d’auteur. Il devient alors difficile pour un individu d’infirmer les conclusions faites par les algorithmes lorsqu’il n’a pas accès à la façon dont ses données personnelles sont mises en relation.
L’accès à des services en fonction du partage de renseignements personnels peut aussi être néfaste aux agents invisibles: les immigrants illégaux ou les sans-abris. De plus en plus de compagnies ou d’organisme demandent des renseignements personnels afin de permettre aux individus d’avoir accès à un service.
Michel ne se sent pas concerné. Il n’a pas d’antécédents judiciaires et ne nécessite pas une aide gouvernementale. De plus, il ne vit pas aux États-Unis donc cela ne le concerne pas, n’est-ce pas ?
Eh bien , Michel devrait peut être porter attention puisque Julie poursuit en citant Gilman qui affirme que les techniques de surveillance sont utilisées sur les plus démunis et les communautés marginalisées avant d’être transposées aux groupes majoritaires. Dès lors , leur légitimité a déjà été acceptée. Michel pourrait donc être touché par de nouvelles pratiques de surveillances qui ne le concernent pas tout de suite.
À ce sujet, André Mondoux, professeur à l’UQAM, donne en exemple: « Lorsqu’il y a des événements majeurs, comme des Jeux olympiques ou des réunions du G8, par exemple, on installe une panoplie d’équipements, et ça reste après. Si l’on avait dit aux gens : “On va déployer 10 000 caméras dans la rue, êtes-vous d’accord ?”, on aurait peut-être eu un débat. »
On peut aussi penser aux compagnies d’assurance qui ont déjà pris l’habitude d’installer des appareils servant à monitorer la conduite de leur client afin de contrôler leur conduite. Une situation que les gens déploraient il y a quelques années et qui est presque inévitable aujourd’hui.
Solution proposée
Bien que le Québec soit loin d’avoir établi un tel système, le modèle chinois est une réalité qui s’installe progressivement, et qui démontre l’ampleur que peut prendre la surveillance technologique en société.
Même si l’idée d’une surveillance technologique totale à l’image du système de crédit social chinois ne correspond pas aux valeurs occidentales d’aujourd’hui, nous donnons tout de même nos données à des tonnes d’applications sur nos téléphones intelligents qui permettent aux entreprises de nous connaître sur plusieurs plans, notamment notre géolocalisation, des informations sur notre santé, nos achats et nos comportements en ligne.
Les enfants et les adolescents, particulièrement sensibles à la gratification instantanée, peuvent se laisser emporter par la gamification d’un tas d’applications qui collectent des données de toutes sortes. La plupart des gens ne savent pas ce à quoi ils consentent ou comment leurs données sont utilisées.
Il est important de discuter avec les enfants des possibles dérives d’un tel système, de vulgariser les termes pour aider à la compréhension des enjeux de la vie privée, et de les aider à forger leur esprit critique, pour que l’utilisation abusive des données par les entreprises ou le gouvernement ne devienne pas « le nouveau normal ».